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Entretien avec M. Koo Rae Cho, ambassadeur de Corée du Sud en Tunisie : «diversifier les relations à l’international, jusque-là traditionnelles»

Koo Rae Cho ambassadeur de Corée du Sud en Tunisie

Cherchant à diversifier ses relations diplomatiques et économiques notamment dans les régions de la Méditerranée, du Maghreb, de l’Afrique et du Moyen-Orient, la Corée compte sur ses vieilles relations diplomatiques et d’amitié avec la Tunisie, pour passer à un autre palier, notamment sur le plan économique et culturel en termes de coopération bilatérale. Son Excellence l’ambassadeur de Corée en Tunisie, M. Koo Rae Cho, nous dévoile la nouvelle vision de la Corée du Sud en matière de coopération et dans laquelle la Tunisie, disposant de plusieurs atouts stratégiques, serait une porte d’ouverture sur la région. Il nous donne également un aperçu de la médiation coréenne dans le sensible dossier de dénucléarisation de la péninsule coréenne.


Cinquante ans de relations diplomatiques entre la Tunisie et la Corée du Sud. Quelle appréciation avez-vous sur la coopération tuniso-coréenne dans les différents domaines diplomatique, politique, économique et culturel et quelles en sont ses perspectives ?
Nous sommes de bons amis et cela veut dire qu’il y a un respect mutuel et nous comptons l’un sur l’autre notamment sur plan international. La Corée et la Tunisie partagent les mêmes valeurs, les mêmes idées et la même politique étrangère. Nous avons toujours coopéré avec la Tunisie avec une grande efficience sur le plan international, aux Nations unies ou concernant les problématiques d’ordre international. La Corée considère la Tunisie comme un vieil ami avec qui elle partage une grande confiance, sur le plan diplomatique.
Sur un autre plan, comme vous pouvez le constater à travers les résultats des dernières élections, la Tunisie veut entamer une réforme globale. Les jeunes spécifiquement veulent réformer les systèmes existants. Je crois que la même volonté existe aussi en Corée. Nous avons besoin de diversifier nos relations diplomatiques, et je pense qu’en Tunisie c’est la même tendance, c’est que votre pays veut réformer les systèmes politique et économique, et diversifier ses relations à l’international jusque-là traditionnelles, comme chez nous.
Et quand je parle de réforme au niveau diplomatique, je ne veux pas dire changer de partenaires. Je crois que vous avez besoin de maintenir vos bonnes relations avec vos principaux partenaires européens, mais tout en se basant sur les liens d’amitiés existantes, la Tunisie a beaucoup à gagner en se rapprochant davantage du côté de l’est de l’Asie. Cela nous semble un point commun entre nos deux pays. C’est que nous aussi nous cherchons à diversifier nos relations diplomatiques et nos partenaires internationaux. C’est à ce niveau que nos deux pays pourront davantage coopérer. La bonne chose est que ce genre d’énergie et ce facteur de nouvelle dynamique proviennent de la jeune génération. Et c’est dans ce contexte que notre Premier ministre a visité la Tunisie en décembre dernier. Une visite visant à renforcer nos relations bilatérales.
Jusque-là et depuis l’établissement des relations diplomatiques entre nos deux pays, environ 35 mémorandums et conventions ont été signés couvrant, non seulement la coopération diplomatique et politique, mais aussi la coopération économique. En fait, cela concerne plusieurs secteurs tels que la santé, l’énergie, l’environnement, le commerce, etc. Maintenant nous entamons une nouvelle étape. Le prochain pas consiste à hisser nos relations d’une manière compréhensive au-delà du diplomatique et du politique pour insister sur les volet économique et culturel. En effet, en terme de coopération, nous allons mettre l’accent sur les nouvelles générations et sur la coopération économique. Ce sont là les deux piliers de nos relations futures.

Ce que nous savons c’est que l’assistance technique se taille la part du lion dans ces relations bilatérales tuniso-coréennes. On va citer l’implantation de la plate-forme “e-people” et autres projets à caractère technologique et technique en matière de services. Est-ce qu’on va voir plus d’investissements coréens en Tunisie ou davantage de relations commerciales ?
Je pense que notre coopération technique a été dédiée au renforcement de certains systèmes tunisiens de transparence et d’anti-corruption, et au renforcement des capacités des officiels tunisiens. D’ailleurs plus de 1.200 officiels tunisiens ont été invités à des sessions de formation. C’est dans cette perspective que nous avons lourdement investi dans l’implantation de la plate-forme anti-corruption “e-people“ ainsi que la plate-forme d’assistance à l’approvisionnement (aux marchés) “Tuneps”. Pour cette dernière, nous avons parachevé la première phase qui est déjà opérationnelle et nous venons d’entamer la deuxième phase”Tuneps2”. Ce projet a bénéficié de la crédibilité auprès de la communauté tunisienne et nous sommes fiers de ce travail.
Pour ce qui est de la Koica, qui a été jusque-là notre chef de file en matière de coopération, elle a investi plus de 60 millions de dollars américains, en guise de dons, depuis 2008 sur ses différents programmes. Durant les cinq dernières années, l’agence a investi en moyenne près de 5 millions de dollars américains annuellement. Koica est une structure qui est dédiée à l’éducation et aux projets électroniques tels que les plates-formes “tuneps”, “e-learning”, “e-people” et le guichet unique dont on a parlé.
Ce ne sont pas de grands projets si vous les comparez à la construction des autoroutes ou les ponts et autres, mais ce sont des projets qui ont un grand impact sur votre système pour le rendre plus efficient et transparent. C’est dans ce sens que nous nous concentrons sur les projets d’éducation et ceux qui permettront de connecter les jeunes générations coréenne et tunisienne.
A partir de l’année prochaine, nous allons implanter la plate-forme “e-learning”. D’ailleurs, ce mois-ci, des experts et consultants coréens vont visiter la Tunisie pour en discuter avec le gouvernement. Nous pensons que ce projet, qui est destiné en priorité aux officiels et à des secteurs comme la finance, va privilégier les gens dans les régions intérieures du pays notamment les universitaires. Nous pensons que cela va commencer par la partie software de ce système, puis nous allons travailler sur la partie hardware pour que cette plate-forme soit bien fonctionnelle et facile à accéder. Il y aura une réflexion sur la manière de s’adapter aux besoins des officiels et administrateurs notamment locaux.
Concernant le renforcement des capacités, nous allons poursuivre nos efforts, et à partir de l’année prochaine nous allons investir dans un projet de digitalisation des informations concernant la planification territoriale dont notamment le recensement des propriétés de tous les terrains. Cela va faciliter la collecte des taxes. D’après notre expérience en Corée, c’est l’une des clés du développement économique de tout pays que ce soit en matière de revenus de l’Etat ou en tant que point de départ de toute planification territoriale, sur le plan local ou national. Pour ce projet, dont notre partenaire est le ministère de l’Equipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du territoire Tunisie, qui s’étalera sur cinq ans 2020-2025, le gouvernement coréen a mobilisé une enveloppe de 60 millions de dollars américains en guise de crédit. Il est prévu d’installer un guichet unique comme interface avec les citoyens pour garantir une transparence totale.
Un autre secteur majeur de coopération que nous voulons mettre de l’avant est la promotion culturelle entre nos deux pays. La Corée dispose de plus de dix “Fun clubs” de la culture coréenne en Tunisie ; à Tunis, Bizerte, Sfax… avec plus de 450 membres.
Aussi, l’un des projets auxquels nous réfléchissons, est de réaliser un film tuniso-coréen avec la participation de jeunes acteurs tunisiens et coréens. De même, nous allons mettre l’accent sur l’implication des jeunes dans les prochains événements culturels.
Il y aura plusieurs jeunes influenceurs coréens qui vont visiter la Tunisie pour renforcer ces échanges. L’accent sera mis sur l’implication des jeunes Tunisiens notamment férus des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Nous veillons à la consolidation des échanges entre les jeunes start-up tunisiennes et coréennes, l’idée est d’implanter un “ICT center” à Tunis, en phase d’étude actuellement. Nous avons remarqué que les dernières élections en Tunisie ont démontré que les jeunes Tunisiens se penchent vers des réformes, avec un système plus transparent.
Idem pour la Corée. Il y a deux ans, notre nouveau gouvernement a lancé de nouvelles réformes pour rendre le système plus transparent, plus démocratique, menant à des résultats économiques concrets. C’est la même démarche ici, et c’est dans ce cadre que notre Premier ministre a visité la Tunisie en vue de renforcer les échanges entre nos deux pays.
Pour l’année prochaine, nous espérons qu’il y aura plus de visites mutuelles notamment des nouveaux Président et gouvernement tunisiens. Cela va donner un élan à nos relations bilatérales sur le plan politique et diplomatique mais aussi économique. D’ailleurs, nous allons mettre l’accent sur la coopération économique et c’est dans cette vision que vient d’être lancée la Chambre de commerce tuniso-coréenne. Durant les six derniers mois, nous étions mobilisés sur son implantation afin qu’elle soit opérationnelle. Nous nous félicitons de cette réussite et maintenant nous sommes prêts à mobiliser nos ressources économiques pour développer les échanges entre nos deux pays.

C’est un important premier pas que d’avoir une chambre de commerce. Est-ce que les investisseurs coréens ont une idée sur les secteurs pouvant les intéresser pour venir s’installer ou investir en Tunisie et dans quelle perspective pourrait aller cette coopération économique ?
C’est un bon début d’avoir une structure qui pourra aider à connecter les hommes d’affaires des deux côtés. Aussi, lorsque nous avons entamé le travail sur le projet de digitalisation des informations territoriales et du guichet unique, on a eu plusieurs sociétés coréennes qui cherchaient des partenaires tunisiens. Dans ce sens, nous voulons que des partenariats soient lancés entre des sociétés des deux pays pour aller ensemble vers des marchés comme l’Afrique et le Moyen-Orient.
Pour être franc avec vous, le peuple coréen ne connaît pas assez bien la Tunisie. Cependant, durant les deux dernières années, il y a eu d’importants changements avec notamment la visite de notre Premier ministre ainsi que des visites de plus vingt députés coréens venus en Tunisie en une année. C’est un grand changement vu l’importance du parlement dans notre pays. Aussi, chaque mois nous avons plusieurs délégations du secteur des affaires qui viennent faire une visite de travail. A titre d’exemple et rien que pour le mois dernier, nous avons accueilli vingt hommes d’affaires coréens, venus dans le cadre de la coopération dans le secteur de planification géographique. Ils ont pris part à des discussions avec leurs homologues tunisiens.
Egalement, nous sommes en train de promouvoir la culture coréenne auprès des Tunisiens, et ce, à travers plusieurs échanges et événements culturels. Dans ce contexte, on a organisé récemment à Tunis un événement majeur, il s’agit de la douzième édition de la Caravane d’amitié arabo-coérenne. Ceci outre la dernière collaboration tuniso-coréenne lors d’un concert symphonique organisé la fin du mois dernier.
Les échanges commerciaux ne sont pas très significatifs en comparaison avec nos relations diplomatiques et politiques. Je crois qu’ils sont moins de 200 millions de dollars américains par an, Ce n’est pas un chiffre important, alors que le potentiel est très intéressant. Notre pays exporte chaque jour plus de 200 millions de dollars américains ! Et quand je dis potentiel cela ne concerne pas les échanges commerciaux ; mais plutôt les possibilités en terme de partenariats. Nous n’avons pas une assez bonne idée sur le Maghreb, la Méditerranée, le Moyen-Orient et l’Afrique, cependant la Tunisie représente une ouverture sur ces marchés. Stratégiquement et géopolitiquement, vous êtes situés au centre comme un hub pour cette région. Aussi, ce qui est bien c’est que votre pays dispose de très bonnes relations avec tout le monde. De même vous avez un accord de libre-échange avec l’Europe à laquelle votre économie est intégrée. Aussi, un autre point non moins important, c’est que votre nouveau Président a annoncé publiquement qu’il va œuvrer à la réactivation de la communauté du Maghreb. Tout cela nous donne des idées même si votre pays n’est pas un grand marché. Dans ce sens, nous voulons aller ensemble, en joint-business, vers le Maghreb, la Méditerranée, le Moyen-Orient et l’Afrique dont vous avez de très bonnes connaissances et connexions. C’est en cela que consiste notre vision en matière de coopération économique et commerciale avec la Tunisie qui est une porte pour nous sur ces marchés.

Parlant de l’espace régional et international, on ne peut passer sans parler de la Corée du Nord. Un dossier lourd et dans lequel la Corée du Sud œuvre à trouver une solution politique notamment avec les Etats-Unis et la Chine. Si vous nous donnez une idée sur la médiation coréenne dans ce dossier et sur les perspectives de cette problématique ?
Concernant les questions d’ordre sécuritaire, je reste très conservateur. Quant à ce dossier, notre président a essayé à plusieurs reprise de convaincre le leader nord-coréen à renforcer les relations inter-coréennes tout comme la dénucléarisation de la péninsule coréenne. Nous avons coopéré activement avec nos pays voisins à l’instar des grandes puissances ; les Etats-Unis, la Chine et la Russie. Tout le monde cherche la dénucléarisation de la péninsule coréenne et pour aboutir à cet objectif, il y a eu deux ou trois sommets entre notre président et le leader Nord-Coréen Kim Jong-Un, cependant il y a des calculs stratégiques qui ne vont pas dans le sens de nos souhaits. La Corée du Nord semble prête à discuter avec les Etats-Unis, et nous ne nous opposons pas à des discussions bilatérales directes entre les Nord-Coréens et les Américains. Nous sommes ouverts à tout type de pourparlers entre les différentes parties concernées. Je dis cela car notre précédent gouvernement s’opposait à toute négociation directe entre la Corée du Nord et Washington, et mettait la condition de passer par la Corée du Sud. Notre position a changé maintenant et nous sommes ouverts à toutes négociations directes, plutôt nous encourageons de telles discussions directes, car notre ultime objectif est de parvenir à la dénucléarisation de la péninsule coréenne. Mais je pense que ce dossier est très sensible sur le plan sécuritaire et politique, et cela prendra un peu plus de temps pour voir des résultats concrets et des actions d’apaisement sur le terrain. Cependant, il existe de réelles chances puisque le président américain Donald Trump veut aboutir à des résultats concrets en ce dossier, et la Corée du Nord a bien saisi cela et elle a besoin de faire des actions dans ce sens pour apaiser la tension sur le plan sécuritaire et économique. Le point positif dans ce dossier est que toutes les parties concernées, en dépit de leurs différents calculs stratégiques en cette affaire, savent qu’il n’y a pas d’autres solutions…

Pour revenir aux relations tuniso-coréennes, et à part la chambre de commerce, allez-vous compter sur d’autres institutions ou structures telle la société civile pour encourager les échanges économiques bilatéraux ?
Je pense que la Chambre de commerce est en train de faire du bon travail. Cependant les sociétés coréennes ne savent pas encore comment faire de bonnes relations d’affaires avec leurs homologues tunisiennes, ceci est dû au manque d’idées, de vision de la part de nos hommes d’affaires. Je crois que notre gouvernement doit encourager davantage les sociétés coréennes à établir plus de relations avec leurs homologues tunisiens, et c’est ce que notre ambassade est sur le point de réaliser en cette période. D’ailleurs, nos efforts sont concentrés actuellement sur la recherche de contacts avec le gouvernement coréen pour qu’il mobilise des fonds pour encourager les hommes d’affaires qui s’intéressent à la Tunisie. En témoigne la “Road show” organisée par le gouvernement coréen depuis un mois en Tunisie. Il y aura davantage d’événements de ce genre dans le futur.
Dans une phase initiale, nous sommes en train d’encourager les hommes d’affaires et les sociétés des deux pays à se rencontrer et entretenir des relations professionnelles, combinées avec des événements culturels majeurs pour promouvoir les échanges entre les deux peuples notamment entre les jeunes…

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